Rothko et la musique...

Je vous entends d'ici ... mais, Rothko, ce n'est pas un peintre ? 

Mais oui, bien sûr Mark Rothko est un très grand peintre de la 2ième moitié du XXième siècle, l'un de ceux qui ont donné à l'art contemporain américain ses lettres de noblesse,  comme Pollock ou Rauschenberg.

Je veux vous parler un peu de lui aujourd'hui, car figurez vous que j'ai retrouvé il y a quelques jours un vieil exemplaire du magazine Connaissance des Arts ( pour être précise le n° 557 de janvier 1999 ), dans lequel se trouve un très intéressant article écrit par Jean-Louis Andral, à l'époque conservateur du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, qui aborde la peinture de Rothko sous un angle original. Je vous en livre ici l'essentiel et la synthèse.

Un jeune intellectuel très doué.

Mark Rothko vers 1920, à Portland



Marcus Rothkowitz naît à  Dvinsk, dans la Russie impériale, en 1903. Sa famille émigre en 1913 aux Etat-Unis, et s'installe à Portland. Le jeune Marcus est un élève et un étudiant brillant, il va au lycée puis à l'Université de Yale, et il songe à devenir ingénieur, ou alors avocat ... Brillant, mais pas encore bien sûr de ses choix.

Car le jeune Marcus montre de vraies dispositions pour la musique, mélomane et musicien amateur, il aurait peut-être aimé en faire sa profession, mais il lui aura manqué l'apprentissage précoce indispensable pour acquérir la virtuosité de l'artiste. Il apprend à jouer à l'oreille, du Mozart surtout, qui est son dieu, et exécute une sonate pour piano avec une assez bonne technique.

A à peine 20 ans, la lecture d'un ouvrage le marquera jusqu'à la fin de ses jours : la Naissance de la Tragédie, de Nietzsche, qui traite, entre autres, de la relation entre la musique et la tragédie grecque, et la tragédie humaine en général.
Sans doute influencé par cette oeuvre, il s'essaye au théâtre et au métier d'acteur , sans grand succès.
Il commence aussi à prendre des cours de dessin en 1924.

Toute sa vie il sera habité par la passion de la musique ... mais finalement, il sera peintre !

 De la figuration aux Champs de Couleurs

Sa carrière de peintre débute en 1925, il est élève à l' Art Students League et rencontre des professeurs qui le guident dans son cheminement figuratif, notamment Milton Avery.
Jusqu'en 1940 il peint des scènes d'intérieur, des nus, ou des scènes urbaines moins conventionnelles, comme le métro New-Yorkais .

Mark Rothko, Entrance to Subway, 1938
Pendant toutes ces années, il fréquente régulièrement des violonistes, et joue et écoute toujours de la musique, mais peu de musiciens dans ses peintures, ce n'est pas ce rapport descriptif qu'il recherche.

En 1940, Marcus Rothkowitz est naturalisé américain et prend le nom de Mark Rohtko.

Et à partir de ce moment, sa peinture va prendre une nouvelle tournure !
De 40 à 46,  il recherche à représenter la destinée humaine, et invoque Iphigénie ou Antigone ( toujours la tragédie grecque ). Mais très vite, il se rend compte que "utiliser la représentation humaine, c'est la mutiler".
Car ce qu' il veut, c'est restituer les seules émotions, à l'échelle du drame humain.
Ses formes se font plus abstraites, la description s'efface pour que la pensée et le verbe laissent la place à l'émotion .
Mark Rothko - Multiform - 1949
C'est là que la relation entre la peinture de Rothko et la musique se fait plus évidente : la musique est irreprésentable, elle est la langue universelle des émotions, mais pas de la pensée formulée.


La musique  provoque une expérience intérieure que aucun mot ne peut traduire.

Et ce sera là toute la recherche ultérieure du peintre : élever sa peinture à ce rang inégalé de la musique qui touche les tréfonds de nos âmes, sans aucun mot.

La Peinture, la Musique et l'Emotion.

En 1949, il peut admirer au MoMa l' Atelier Rouge, de Matisse.

Matisse, l'Atelier Rouge - 1911 - MoMa New-York



Voilà ce que cette oeuvre lui inspire :
"Quand on regarde cette peinture, on devient la couleur, elle vous sature totalement comme le ferait la musique".

 Il assimile alors la sensation enveloppante de la couleur au pouvoir commotionnant du son, cité par Nietzsche.

Pour peindre, Mark Rothko remplit, sature de musique l'espace de son atelier.

Mozart est toujours son dieu, Haydn, Beethoven et Schubert sont ses saints.




Les formes se font de plus en plus épurées, de simples rectangles superposés de couleurs flottantes, aux contours vagues.

Les formats s'agrandissent, pour que le spectateur se sente totalement immergé dans la couleur et la texture.

L' artiste aspire à rendre immatérielle la surface peinte, pour que ne persiste que la vibration, le vibrato , de la couleur.

Seul le recours à l'abstraction peut garantir cet accès immédiat à l'affect sans passer par une pensée construite, laissant la place à l'émotion enfin libérée ... Sa peinture évolue en un ensemble d'impalpables champs colorés .

 Ci-dessous quelques oeuvres de la période dite Classique de Mark Rothko, exécutées dans les années 50 et 60, explosions de couleurs, de sensualité, et de joie de vivre.

Colorfield Painting - 1954

Rothko Room, Pillips Collection - 1960 - Washington DC

Je me suis amusée à y associer des musiques qui ont peut-être inspiré le peintre....

Mozart, Symphonie N° 40, Molto Allegro



3 Seagram Murals - National Gallery - Washington DC


La "Serenata D 957" de Schubert 


A partir des années 60, Mark Rothko aborde sa dernière période, sombre, travaillant les noirs et les bleus  , sans doute représentatifs de ses états d âme ...






En 1964, un couple de collectionneurs franco-américains, Jean et Dominique de Ménil, chargent le peintre de créer un espace de méditation orné de peintures ; ces œuvres, quatorze peintures noires avec des nuances de couleur,  sont spécifiques à l'endroit. Un lieu que l'on peut visiter à Houston, au texas .

Chapelle Rothko - Houston - Texas


Voilà peut-être une des musiques qu'il mettait en résonance, le 2ième mouvement de la Symphonie N° 7 de Beethoven.



 A la fin des années 60, l'état de santé de Mark Rothko se détériore, et l'empêche de continuer à peindre de grands formats.
 Mark Rothko se donne la mort le 25 février 1970. Les raisons de son geste restent, comme bien souvent, inexpliquées...


Et donc, ce rapport entre peinture abstraite et musique m' a particulièrement intéressée, pour ne pas dire interpellée:  l'émotion pure que l'on ne peut verbaliser .


Et vous, qu'en pensez vous ?

Martine Belmon
Artiste peintre qui aime la musique.

2 commentaires:

  1. Bravo encore Martine pour cet article. Tu prêches une convaincue de Musique et Peinture ...

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    1. Merci, je suis contente que cet article t'ait intéressée ! Personnellement je suis absolument fans de peinture abstraite et de musique classique ....
      Bonne journée !

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